Boris Chauviré, Membre fondateur de l’association Gemmologie et Francophonie, Directeur Général GéoGems
Voici donc une petite réflexion en ces temps de ralentissement global. J’aimerai poser ici la question de la place des Sciences dans nos sociétés, et évidemment dans la gemmologie.
La (ou les) Science(s), au même titre que l’Art, est un bien culturel commun qui permet de faire avancer les sociétés dans leurs visions du monde. Elle se distingue seulement par une méthode plus rigoureuse et reproductible qui permet d’apprécier au mieux ce qui nous entoure, en limitant au maximum le subjectif de celui qui l’utilise.
En gemmologie, n’importe quel expert suit cette méthode, en récoltant des données sur la gemme, et en déduisant sa nature comme la plus probable à partir de ces données. Cette méthode est reproductible, car normalement, plusieurs experts donneront le même résultat à partir des mêmes données. Mais, cela se base sur le fait que la recherche fondamentale (l’extrême de la méthode scientifique) puisse fournir et expliquer ce lien entre données et résultats.
La méthode empirique (sous-branche de la méthode scientifique) permet de mettre en avant un lien quand il existe un nombre statistiquement viable d’échantillon (si 1000 minéraux identifiés comme identique – corindon par exemple – donne la même donnée – densité = 4 -, alors l’hypothèse que ce minéral possède toujours cette même donnée est viable jusqu’à preuve du contraire). Mais l’expliquer est souvent plus ardu et nécessite de croiser différentes techniques, et de se baser sur les fondements physiques du phénomène observé. Pour faire bref (ce qui est déjà plus le cas), la recherche essuie les plâtres que la société va utiliser.
Mais que se passe-t-il quand la recherche n’a pas donné les clés ? On essaie de contourner la question. Par exemple, lors d’une réunion de gemmologues francophones, nous avons abordé le traçabilité du diamant (mais cela peut s’appliquer à beaucoup de gemme). Beaucoup de choses sont proposées dont la gravure avec un lien vers une base de données cryptées (blockchain). Mais comment le vérifier ? Peut-on se baser sur la bonne foi d’une personne qui affirme l’avoir extrait à tel endroit ? Ou celui qui fait la gravure ?
La réponse est probablement oui dans certains cas, mais dans tous les autres cas, nous n’avons aucun moyen viable et scientifique pour affirmer la provenance d’une gemme. Pour ma part, ces propositions sont donc cosmétiques. Il existe certes des pistes (l’assemblage d’inclusions, l’isotopie), mais pour le moment, cela se base sur une méthode empirique qui a la fragilité d’être aussi robuste que les échantillons qui lui sont soumis. En d’autres termes, un seul échantillon qui démontre le contraire, et tout s’écroule. Ce qui a mené certains laboratoires à parler de « Ceylan-like » au lieu d’affirmer une provenance certaine. Ajoutons que les provenances se basent sur la construction humaine de frontières arbitraires. Hors, un même contexte géologique de formation de gemme peut s’étendre à plusieurs pays, comme certains corindons qui se sont formés simultanément quand l’Inde était encore rattaché à l’Afrique. Comment donc distinguer 2 gisements aujourd’hui séparés mais qui sont géologiquement identiques ? On l’ignore, et peu de recherches sont faites pour explorer les gisements de gemmes en tant que système géologique global.
Aujourd’hui, en gemmologie mais plus largement dans la société, il est régulier de voir la Science se confronter à des opinions, des idéologies, des pressions commerciales dont elle a pour but de s’affranchir. Elle est même parfois sacrifiée sur l’autel d’idéologies (l’arrêt de recherches aux USA lors de la prise de poste de D. Trump en est l’exemple).
Un débat se pose donc : est-il préférable de se baser sur des rhétoriques idéologiques ou sur une description du monde qui se veut impartiale ? Vos avis sont les bienvenues !
Gemmologiquement votre,
Boris Chauviré