ÉDITO – Garantir la nature des gemmes

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Emanuel Piat, Gemmologue et négociant en pierre de couleur, Directeur de le maison Piat

La réputation si chère au « commerçant » gemmologue repose notamment sur sa faculté à déterminer la nature des gemmes, leur origine et/ou leurs traitements. Cependant, pour ce faire, n’ayant souvent pas les moyens techniques de les déterminer, il se repose sur l’avis de laboratoires, comme par exemple, pour savoir si  un diamant est naturel ou non. Il engage ainsi sa responsabilité sur l’avis d’un laboratoire bien qu’il soit redevable judiciairement en tant que commerçant de la nature du produit vendu.

Ces dernières décennies ont vu la hausse exponentielle du prix de certaines pierres de couleur, non traitées, suite à une demande très sélective et un plus haut niveau d’exigence. Simultanément, les techniques de traitement ou de fabrication se sont développées et sophistiquées. Cette évolution a renforcé le rôle des laboratoires de gemmologie, dont les attestations sont devenues incontournables et gages d’authenticité, pour les pierres de centre comme pour les pierres d’entourage.

Si un laboratoire atteste qu’une gemme est un rubis d’un poids, d’une forme et de dimensions donnés, il remplit sa mission essentielle ;

S’il précise « d’origine birmane », il introduit une marge d’erreur,

S’il complète par «  de couleur sang de pigeon », il entre dans le domaine du subjectif.

Pour le vendeur du rubis, la valeur marchande de la pierre dépendra fortement des réponses du laboratoire, et aussi du nom du laboratoire requis par l’acheteur futur, qui pourra aussi demander que deux laboratoires se prononcent.

Les connaissances en gemmologie, les matériels et les techniques évoluant en permanence, la plupart des laboratoires prennent la précaution de préciser les limites de leurs obligations.

Un exemple : «  Ce rapport d’analyse n’indique que l’authenticité et/ou la classification des matières qu’il décrit et ne peut être considéré comme une garantie, une évaluation, un justificatif douanier ou un certificat de valeur ou de beauté de celles-ci  »

La formule est plus ou moins claire et explicite mais peut aller jusqu’à la contradiction, comme dans le cas d’un laboratoire certifiant l’origine d’une pierre et écrivant en bas de page, en lettres minuscules, que sa propre certification sur l’origine de la pierre n’est ni une garantie, ni une validation de la dite origine ! « This report is not a guarantee, valuation or appraisal and contains only the characteristics of the article described herein after it has been graded, tested, examined and analyzed by the laboratory providing this report […] Inscriptions reported in this document are not a guarantee, validation or warranty of an article’s quality, country of origin or source »

D’autres laboratoires limitent parfois très formellement leur responsabilité : « And unless expressly agreed otherwise, XXX Lab cannot be held responsible for any consequences resulting from incomplete or erroneous data on this report such as errors in dimension and weight measurements, typing errors and errors in the determination of the authenticity, country of origin and errors in the declaration of treatments ».

La lecture de ces phrases frappe l’esprit et pose deux questions, l’une d’ordre juridique et l’autre d’ordre commercial :

·        Ces phrases mentionnées sur tous les certificats constituent-elles une clause limitative de responsabilité ? Et si oui, cette clause est-elle régulière et opposable ?

·        Le négociant peut-il se protéger dans le cas extrême où un client désirerait annuler la vente sous prétexte qu’un autre laboratoire – ou le même – a donné un autre avis sur l’origine ou sur l’absence de traitement de la pierre? Et si oui, comment ?

Les deux experts en droit que nous avons consultés se rejoignent au sujet de la première question : « d’une manière générale, entre professionnels, les clauses limitatives de responsabilité doivent être écrites en caractères particulièrement apparents, ce qui ne me paraît pas être le cas de certains des contrats que vous m’avez communiqués.

Au fond, la jurisprudence est actuellement établie en ce que sont jugées nulles les clauses qui dégagent la responsabilité d’un contractant lorsqu’il a manqué à une « obligation essentielle » du contrat. Dans ce cas, la clause d’exclusion ou de limitation de garantie est réputée non écrite ».

Quand un négociant paye un laboratoire pour que ce dernier examine et certifie une pierre, il se crée un contrat, et donc des obligations réciproques dont certaines sont dites « essentielles » puisque relatives à la raison d’être même du contrat. S’agissant du laboratoire, la détermination de la nature de la pierre, de ses éventuels traitements ou de son origine semble constituer cette fameuse « obligation essentielle ».  Le laboratoire engage  donc sa responsabilité lors de l’établissement d’un rapport.

Imaginons donc qu’un premier laboratoire délivre à un négociant une attestation selon laquelle une pierre est non traitée, que cette pierre soit vendue et que par la suite, d’autres avis soient donnés dans le sens contraire. Devant un tribunal, il ne semble pas faire de doute que la faute du laboratoire pourrait être établie et que ce dernier ne puisse dégager ou limiter sa responsabilité.

Le négociant pourrait donc demander la réparation du préjudice subi en lien direct avec l’erreur commise par le laboratoire, comme par exemple une atteinte à sa réputation, les frais exposés, voire même le manque à gagner qui résulterait de l’annulation d’une vente.

On en arrive au paradoxe suivant : juridiquement parlant, les laboratoires ne sont pas inattaquables et peuvent être reconnus fautifs. Mais commercialement parlant, comme le rappelait non sans humour l’un des experts que nous avons interrogé, étant donné que le négociant travaille en collaboration étroite tant avec les laboratoires qu’avec les joailliers et qu’ « il ne faut se fâcher avec aucun », il lui appartient sans aucun doute d’avoir plus recours à la diplomatie qu’au droit.

On comprend vite les dangers auxquels s’expose la profession : à court terme la méfiance du client final et à plus long terme, au mieux une baisse des ventes.

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